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reproduction : 'L'art du Luthier' Auguste Tolbecque

"Vivant je fus dans les forêts.

J'ai été tué par la hache cruelle.

Tant que j'ai vécu je me suis tu,

Maintenant que je suis mort,

je chante doucement".

 

(reproduction : L'art du Luthier - Auguste Tolbecque)

 

 

La fabrication d'un
Instrument de Musique commence dans la Nature, là où se trouve le Matériaux Noble qui va pouvoir donner la plus belle des vibrations.

 

"Ce choix est d'une grande importance. Je fais à ce sujet toute confiance à J.M. Lehmann qui va lui-même en Forêt chercher l'espèce rare."

 

 

LES MATERIAUX

La fonction Vibratoire des Bois

(Bois : vibration/choix, hygrométrie, séchage, colle, mécaniques, cordes)

Bois

"Les Guitares sont des instruments utilisant un peu de bois et beaucoup de colle" !

 

 

Le bois est utilisé pour ses qualités de résonance, c'est à dire ses caractéristiques vibratoires ; il permet d'obtenir une bonne solidité mécanique, une souplesse d'emploi et une esthétique inégalée.

Idéalement, Il doit être refendu (ou coupé) sur "quartier".

Coupes de bois su r quartier

Les qualités vibratoires sont difficiles à quantifier car elles dépendent du "caractère" sonore que le Luthier désire obtenir.

 

 

On peut observer 2 styles de bois différents sur une guitare, car ils ont une fonction vibratoire différente:

- le bois utilisé pour la table

- celui utilisé pour le corps.

Palissandre de Rio et épicéa

 

 

La fonction vibratoire :

(Pour simplifier à l'extrême)

- la table vibre avec une grande amplitude, comme une membrane de haut parleur ; elle reçoit l'énergie depuis le chevalet, elle est le "moteur" du son… le corps lui, est comme la caisse d'une enceinte acoustique, il reçoit la vibration, il vibre "passivement" avec une amplitude beaucoup plus faible : bref c'est la table qui "remue" de l'air et qui produit le son qui "porte devant" alors que le corps "contient" la vibration et participe à la "tonalité" de l'ensemble.

La Table doit donc être flexible et faire "ressort" pour transmettre les vibrations venues du chevalet et le corps doit être solide, d'où la différence dans la catégorie des bois choisis.

Toutefois, à la différence d'une enceinte acoustique dans laquelle le son arrive déjà fait par les haut-parleurs, dans un instrument il doit "se faire" … le corps y travaille et il doit vibrer suffisamment pour pouvoir "renvoyer" la vibration dans des fréquences utiles. Sa propre vibration donne du "timbre" à l'ensemble.

Le Dos, les Éclisses, le Manche, certes, vibrent par eux même et donc "mettent de l'air" en vibration… toutefois cette vibration, assez faible en amplitude, est très loin d'égaler celle de la table et le résultat quantitatif de ces vibrations est minime.

Cette constatation a conduit certains Luthiers à faire un corps de Guitare très lourd, rigide et peu vibrant de façon à ce que la table reçoive le maximum d'énergie sans "pertes" dans le corps, pensant simplifier et rationaliser l'instrument.

Cela "fonctionne" … surtout en puissance, toutefois cela crée un style particulier de sonorité qui personnellement ne m'intéresse pas.

Mon sentiment personnel est bien différent, il se base sur ma façon de ressentir une vibration.  

 

 

Voyons en exemple le fonctionnement de l'archet de violon :  

L'archet vibre énormément lui-même lorsqu'il met les cordes en vibration, pourtant il met très peu d'air en vibration. D'où vient alors le fait qu'un archet puisse être un élément des plus important dans la sonorité ?

Cette réflexion nous met sur la voie :

L'archet est primordial dans la vibration du violon par le fait qu'il "renvoi" et transmet toute son énergie, il possède une force puissante transmise à l'instrument tout entier. Il a une vibration propre, qui relance la vibration de l'instrument au "bon" moment. Il "dirige" par sa vibration propre, sa nervosité, son "attaque", le style même de sonorité transmise à l'instrument.

Je pense que le manche d'une guitare, les éclisses et le dos fonctionnent sur ce principe, je l'ai expérimenté, le dos lui, a une fonction supplémentaire, celle de "compresser ou décompresser" les ondes à l'intérieur de l'instrument et ainsi faire fonctionner l'effet de souffle qui sort par la bouche de la guitare.

Ce "souffle" agit en équilibrant l'unité sonore de l'ensemble (mais mal maîtrisé, il crée un "halo" sonore imprécis qui nuit à la clarté du son).

 

Je choisis mes Bois en fonction des qualités acoustiques que j'attend d'eux, selon mes propres critères.

 

Je précise ici, pour ceux qui pensent que parce que le bois serait très régulier dans la distance entre ses fibres (comme tirées au cordeau) le son serait lui aussi très régulier, très équilibré, que c'est totalement faux!



 Le son ne suit pas l'esthétique de la fibre du bois, ces 2 plans ne se correspondent pas.

 

 

LA TABLE

cèdre / épicéa 

- 2 sortes de Bois sont couramment utilisés : Le Western red cedar (brun, avec parfois une touche de Rosé) en provenance du Canada, et l'Épicéa (Blanc, parfois tirant sur le Rouge), de provenances extrêmement diverses.

Ces bois ont une "fibre" (mot courant) qui correspond à ce que l'on appelle les cernes annuels. La fibre d'hivers est solide et dense, elle est foncée, celle d'été large et souple. Cette alternance des fibres est propice à une bonne vibration. Elle permet, par la légèreté du bois, d'augmenter l'amplitude vibratoire et, par la solidité de la fibre dure, de donner le "ressort" nécessaire . Une fibre raide entre deux fibres raides limiterait l'amplitude, alors qu'entre deux fibres élastiques, une fibre raide peut vibrer.

Le rapport des densités, des souplesses, des espacements entre ces fibres influent sur la tenue et l'amplitude vibratoire.

Ainsi selon le climat où vit l'arbre, selon l'altitude, selon l'air qu'il respire il aura des caractéristiques différentes.

Chaque Luthier a sa préférence entre épicéas denses et très réguliers, un peu plus lourds mais solides qu'on pourra donc travailler plus fins, et des épicéas aux fibres plus espacées, plus légers, qui à mon avis, donnent une plus belle âme à la sonorité. Ce choix, là encore, est très personnel.

Le western Red Cedar est un bois plus léger que l'épicéa, moins solide aussi, la vitesse du son dans ce bois est d'environ 800m/s alors qu'elle avoisine 4500à 5000 m/s dans l'épicéa.

Ces caractéristiques sont exploitées pour obtenir des sonorités différentes.

 

Le Red Cedar est connu comme donnant une sonorité plus "chaleureuse" car il a des harmoniques plus graves que l'épicéa. L'épicéa, lui est connu pour avoir plus de "clarté" car les harmoniques plus aigues donnent une distinction plus nette au son produit.

Toutefois le Luthier peut partir de ces éléments et faire ce qu'il veut du son en travaillant sur d'autres parties de l'instrument.

Pour moi, le choix des bois est primordial dans la fabrication. Il est l'essence du son et je prends un soin extrême à le sélectionner.

 

 

On a 2 grands styles d'épicéas traditionnellement reconnus en Europe :

  • Celui du Jura (ou Vosges, ou de la forêt noire allemande) est dense et serré,
  • Celui du val de Fiemme en Italie est plus léger et nerveux.

 

On ne trouve pratiquement plus du "Val de Fiemme"… mais on trouve un équivalent dans les Préalpes (Suisse/France). Certains épicéas sont "chenillés" et d'autres très homogènes…

On emploie aussi des bois de table provenant des Etats-Unis, du Canada, du sud de l'Alaska : L'Engelmann, aux fibres très serrées et régulières, proche de l'épicéa allemand, le Sitka plus foncé, orangé, plus dur, l'Adirondack des Appalaches, léger et nerveux… mais en raréfaction comme celui du Val de Fiemme en Italie.

Personnellement mon choix se porte sur des tables qui possèdent une légèreté maximale, pour une rigidité maximale avec une fibre "large" qui va permettre une vibration souple mais nerveuse (une fibre plus serrée serait très homogène et parfois trop, pour ce que je désire obtenir).

J'aime les épicéas à fibre large même si elle est moins régulière, à chenilles … je trouve que c'est un bois "qui vit" et qui "respire"…. Un bois plus Musical.

 

 

Je me sert exclusivement chez le même négociant en épicéas (Jean-Marie Lehmann : www.bois-de-resonance.com )… il est sur place, il est un poète de la nature avec laquelle il vit en harmonie, il regarde pousser ses arbres, en connaît la vie, connaît l'exposition la mieux appropriée, l'altitude selon le lieu, et même la bonne lune pour le couper de façon à ce que le bois sèche au mieux !

J'ai confiance en lui et je suis en parfait accord avec la continuité que je désire accomplir en fabriquant un instrument sur ces mêmes sensations.

Respecter "l'enfance de l'arbre", en quelque sorte… c'est respecter "l'enfance de l'art" !

Je choisis ces bois directement sur place, sciés en planchettes de 6mm d'épaisseur environ et en choisis la provenance. Je sélectionne surtout des bois "refendus" et non pas sciés! Ce qui est une garantie que la fibre ne soit pas tranchée dans sa longueur.

 

 

LE CORPS

Le bois utilisé pour le corps de l'instrument est par tradition du Bois exotique, bien qu'on puisse utiliser des fruitiers européens. Les luthiers sont tenus d'avoir la meilleure régularité dans leur bois. J'ai fait le sacrifice de constituer au fil des années un stock qui me permet d'avoir de l'avance. Je suis allé les choisir en Espagne, là où, en raison de nombreuses fabriques semi industrielles, il y avait d'excellents négociants importateurs.

coupe bois exotique

 

 

J'emploie, pour les dos et les éclisses, des Palissandres des Indes de toute première qualité, des Palissandres du Brésil ou d'Amazonie de plusieurs qualités toutes supérieures ou d' appellation  Brésilienne : "Jacaranda". 
J'ai fait couper cette année un très ancien Bois de Citronnier dont l'aspect moiré est du plus bel effet. 

On a pris l'habitude pendant longtemps d'appeler "palissandre de Rio" tous les palissandres Brésiliens ... simplement parce qu'ils provenaient du Port de Rio de Janeiro, les caisses d'expéditions portant le tampon de  leur provenance. 
Ainsi l'appellation "Palissandre de RIo" est devenue une appellation générale que tout Luthier utilise souvent. 

Pourtant la véritable essence de palissandre de Rio existe ... elle est très rare et interdite depuis 1992 pour sa protection et nous n'en trouvons plus. 

Pour les touches, j'ai stocké de l'ébène du Gabon et du Cedro du Honduras pour les manches.

Je sélectionne là aussi les bois les plus rigides et légers possibles… 2 caractéristiques opposées que j'essaye de combiner au mieux. Ce sont des caractéristiques qui sont propices à obtenir un bon "sustain" (tenue du son dans la durée).

 

 

La création d'un stock de bois :

Le Luthier doit, avant même de pouvoir vivre de son travail, posséder un atelier, des outils, quelques machines, mais surtout se constituer un stock de bois assez important afin de pouvoir le laisser sécher… 10 ans de séchage étant un minimum…

 

…Cette immobilisation de stock pose un réel problème au démarrage de l'activité, mais, une fois ces dix années passées, on peut alors commencer à utiliser ce bois bien sec et il ne reste plus qu'à le renouveler en fonction de la consommation.

 

Il est donc nécessaire d'investir dès le départ dans l'achat de bois de qualité et de le laisser "dormir" des années tout en achetant aussi des bois secs pour pouvoir les travailler tout de suite.

 

"….pendant des années, je suis parti sur les routes, depuis la Suisse jusqu'au sud de l'Espagne dans ma vieille "AMI6" déglinguée…afin de ramener mon TRESOR annuel sous forme du plus beau palissandre Brésilien !

….. c'était une belle aventure ! "

...évidemment, ce bois en possède une valeur décuplée…

 

…je ne le touche plus qu'en le caressant ! "

 

 

 

Séchage des Bois :

Les essences que j'emploie ont toutes plus de 15 ans d'âge pour les tables et 30 ans pour les palissandres .

Ceci garantit une stabilité maximale.

 

Je prends grand soin à leur stockage, à leur séchage en air libre ventilé, puis dans mon Atelier à hygrométrie constante.

séchoir à bois

Les bois sont empilés en laissant des espacements qui laissent l'air librement circuler.

 

 

Les travaux en cours sont aussi rangés
dans ce séchoir -->

séchoir à bois

 

 

LES COLLES

Un collage doit avoir des caractéristiques bien déterminées. Il faut que les 2 pièces en contact collé ne puissent pas "glisser" l'une sur l'autre. Le joint de colle ne doit donc pas être élastique et doit être le plus fin possible ; les bois doivent être comme soudés ! Là est la meilleure transmission vibratoire.

De plus, mécaniquement, lorsqu' un dos par exemple se déforme sous l'emprise de l'humidité ou de la sécheresse, les barres collées vont résister mais être aussi amenées à se déformer, la voûte du dos va s'aplatir, ou bien s'accentuer ; si le collage "glisse", lorsque les conditions redeviennent normales, le dos va rester déformé ! Si le collage ne glisse pas, les barres sont restées en tension et vont amener le dos à reprendre sa voûte initiale.

Il en est de même pour toute partie collée sur une guitare, surtout pour le manche où 1mm de variation détruit un bon réglage.

Je sélectionne donc une colle qui ait des propriétés de fluidité non glissante…quelle soit "à chaud" ou "à froid" traditionnelle ou moderne, pour qu'elle s'adapte au mieux au travail en cours.

 

 

LES MECANIQUES

Je sélectionne des mécaniques de précision, sobres et de grande qualité, les clients ont le choix entre plusieurs fabrications en fonction de leurs désirs et des variations de prix que cela implique.

mécaniquesmécaniques

 

 

LES CORDES

Là est une grande question…. Autant de guitares, autant de cordes qui lui conviennent plus ou moins.
Autant de guitaristes, autant de cordes différentes aussi …. Je pense qu'à chaque instrument nouveau, un guitariste doit passer du temps à sélectionner les cordes qui lui conviennent le mieux… Sans être influencé par les habitudes qu'il a prises sur son ancienne guitare… tout doit être revu.

 

 

Un aparté est nécessaire ici afin de parler d'hygrométrie :

Nos instruments sont sensibles aux variations hygrométriques plus qu'à l'hygrométrie elle même.

Ces variations impliquent une répartition des tensions différente dans les bois telle que le point d'équilibre entre traction des cordes et résistance de l'instrument change. Il est souvent alors nécessaire de retrouver un bon équilibre en "jouant" sur les cordes, puisqu'on ne peut intervenir sur les tensions dans les bois.

Ainsi, un même instrument demandera tel jeu de cordes avec un temps sec, alors qu'en temps humide il s'accordera mieux de cordes différentes (parfois changer une seule des 6 cordes suffit) …

 

Ce comportement observé met en évidence un fait dont je fais toujours grand cas :

 

Pour qu'un instrument sonne au mieux de ce qu'il est, il est primordial qu'il soit le plus exactement possible sur une position d'équilibre des forces entre la traction des cordes et la "résistance" des bois… ainsi il est "libre" de vibrer.

 

Ceci illustre aussi parfaitement le fait qu'un instrument sonne mieux lorsqu'il vieillit : en effet, avec le temps, la traction des cordes s'équilibre et se répartit mieux dans tout l'instrument. Les parties faites pour être des supports mécaniques prennent en charge la résistance à la traction des cordes, la table s'en trouve "Libérée" pour mieux assurer son rôle vibratoire.

 

Un Violon est sur cet équilibre de par sa forme en voûte… sur la Guitare, il est impératif de trouver un équilibre de ce style, mais, les cordes tirant "à l'arraché" sur le chevalet, il se fera d'une autre manière.

 

Cette réflexion nous met sur la voie et nous ouvre des possibilités de construction différentes en tenant compte à l'avance de l'importance acoustique de ce phénomène d'équilibre.

 

A ce sujet, je surveille avec soin l'hygrométrie dans mon Atelier et surtout le fait que chaque opération de collage soit faite à la même hygrométrie. Il est évident que des collages faits lors d'hygrométries changeantes donneraient un instrument très instable et difficilement contrôlable.

 

"…Je conseille l'emploi d'un hygromètre et de surveiller de près l'hygrométrie, nos instruments y sont fragiles, comme les personnes âgées le sont envers la température.

 

Lorsque le temps est sec et froid, lorsqu'on est en des lieux chauffés, et que l'hygrométrie descend en dessous de 45%, il suffit pour rétablir une humidité correcte (50 à 60%) de placer dans l'étuis une éponge placée dans une boite étanche percée de petits trous d'aiguille qui ainsi "transpire" un peu de vapeur d'eau.

Par temps trop humide, c'est beaucoup plus difficile. S'il fait froid, tout va bien: on chauffe! S'il fait chaud…il ne reste qu'un solution efficace bien que coûteuse : le climatiseur…

 

Dans tous les cas les dommages sont évités en ralentissant l'action de l'hygrométrie (car, je l'ai dit, ce sont les variations qui sont dangereuses)... Je vous suggère d'investir dans un étuis le plus protégé et étanche possible…"

 

Le réglage définitif d'une guitare doit se faire lorsque le choix de corde est fait, et que l'instrument a trouvé son équilibre. Ceci v aut autant pour la justesse que pour la qualité du son et la hauteur des cordes. Il faudra trouver là encore le meilleur compromis entre souplesse, projection, puissance, timbre et durée.

 

J'aime effectuer ce réglage quelques mois après la vente de l'instrument, dès qu'il est stabilisé.

 

 

 

 

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